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Seule à l’étranger Le Matin de Paris 4 mai 1978
Seule à l’étranger
Le Matin de Paris 4 mai 1978
Seule à l’étranger
Dessiner une géographie de voyages de femmes seules à l’étranger serait ridicule. Quelle que soit la latitude, pas de surprise, les hommes sont partout ; tous pareils dans la confusion grisâtre de l’anonymat et des foules, tous pétris, à des degrés divers, d’une supériorité inventée dans la caverne.
En voyage (comme à la maison) pour faire admettre un semblant d’égalité, il faut du temps et vous n’en avez pas. Il est donc obligatoire de finasser avec cette espèce de mouche permanente qu’est l’homme.
La règle du Jeu est la suivante, elle est mondiale :
a) Dès le coucher du soleil, la femme qui n’est pas garée entre quatre murs est à prendre.
b) L’étrangère qui erre, seule, sur les routes sans motif autre que voir, écouter, comprendre, est une proie.
Tant que les hommes des villes et ceux des champs ne s’habitueront pas à rencontrer des femmes seules, cela ne changera pas.
Mes sœurs, il faut partir ! La faculté de voyager seule est proportionnelle à la finance et à la ruse. Argent égale indépendance. Voyage-mendicité devient vite, hélas, voyage-trottoir. Coucher au bord d’une route turque, atterrir dans un hôtel de passe ougandais ou se faire héberger par un Afghan célibataire, c’est chercher la bagarre. Le problème n’est nullement géographique, la Turquie peut être remplacée par l’Ouganda ou les États-Unis, et l’Afghan par un Brésilien. Plus l’argent manque, plus la dépendance est grande et plus les risques sont aigus. Donc ne jamais partir sans un pécule convenable.
Reste la ruse. Tous les moyens sont bons, tous les coups sont permis. À commencer par le caméléonisme vestimentaire. Éviter avant tout la provocation : ici c’est la nuque, là une cheville, là encore un avant-bras qui déchaîne les vibrations sexuelles Dans tous les cas, avoir de bonnes chaussures pour courir vite.
Lorsque le public est important, ne rien laisser passer et ne pas hésiter à faire un scandale si l’on vous a manqué de respect. Sans témoin, conserver une impassibilité marmoréenne ou fuir à toute allure.
Pour voyager seule, il suffit d’être une bonne comédienne et de ne jamais montrer que l’on a peur. Le climat de rivalité et d’exclusivité savamment orchestré depuis des millénaires par les hommes exclut encore toute possibilité de solidarité spontanée entre, les femmes. Il est plutôt rare qu’une femme vous invite chez elle, de son propre chef, après dix minutes de rencontre, et les moyens féministes sont souvent difficiles à pister. Donc, il faut toujours avoir l’air de savoir exactement ce que vous faites, où vous allez et pourquoi. Inventez-vous, selon les circonstances, un métier ou un gros mari.
Se rappeler que le « macho » est particulièrement éveillé au bord de la Méditerranée, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Ailleurs, les inconvénients ne sont pas plus terribles qu’en France. Soyez convaincues de votre droit au voyage même si les clairs de lune en solitaire sont encore périlleux.
jeudi 26 novembre 2015, par